Le Moulin à parole. Enquête sur la notion de parole dans la philosophie de l’IA

Le 13 décembre 2025 à 14h, Éloïse Boisseau, doctorante au CGGG, soutiendra sa thèse de doctorat intitulée « Le Moulin à parole. Enquête sur la notion de parole dans la philosophie de l’IA ».

Lieu de la soutenance :

UFR ALLSH – 29 avenue Robert Schuman – 13621 Aix-en-Provence cedex 1 – Pôle Multimédia – Salle de Colloque 2.

Le jury se compose de :

- M. Daniel Andler. Professeur émérite, Sorbonne Université. Académie des sciences morales et politiques. 
- M. Jean-Philippe Narboux. Professeur des universités, Université de Strasbourg. CrePhAC (UR 2326).
- Mme Juliet Floyd. Professor, Boston University. Center for the Humanities.
- Mme Élise Marrou. Maîtresse de conférences, Sorbonne Université. Métaphysique, histoires, transformations, actualités (UR 3552).
- M. Jérôme Dokic. Directeur d'études, École des hautes études en sciences sociales. Institut Jean Nicod.
- M. Michel Le Du. Professeur des universités, Aix-Marseille Université. Centre Gilles Gaston Granger (UMR 7304).

Résumé de la thèse :

Il y a, dans le champ de l’IA et de sa philosophie, des questions qui excitent l’imagination et stimulent la fibre spéculative des chercheurs qui les fréquentent : un ordinateur peut-il penser ? Pourrions-nous construire un automate conscient ? Faudrait-il se soucier du bien-être des robots ? Assistons-nous à une explosion de l’intelligence des machines ? etc. Curieusement, il y a en contraste certaines questions qui ne sont que rarement soulevées, mais qui s’avèrent pourtant décisives pour pouvoir aborder sereinement les premières. C’est une de ces questions délaissées que je me propose d’examiner ici. Celle-ci est en apparence toute simple mais (c’est du moins ce que je souhaite montrer) se révèle extraordinairement instructive : une machine peut-elle parler ? Autrement dit, peut-il ou pourrait-il y avoir de la « parole artificielle » ? La possibilité radicale évaluée est ainsi celle de machines qui seraient réellement « parlantes » (i.e. des machines qui assertent, interrogent, ordonnent, questionnent, conseillent, jugent, promettent, etc.).

Je montre au cours de ce travail que cette possibilité putative est bien assumée par des théoriciens aux positions et aux horizons très divers : la question de la parole est un point névralgique traditionnel des spéculations concernant les capacités intellectuelles ou mentales des machines, et l’image d’une machine parlante est une image motrice et mobilisatrice importante dans le champ de l’IA (chapitre 1). Pourtant, et c’est la thèse défendue ici, cette image est mystifiante et repose sur une série de confusions concernant à la fois la nature des machines, et la nature de la parole. Je montre d’abord, en m’appuyant notamment sur des distinctions aristotéliciennes (chapitre 2), que nous avons en réalité de très bonnes raisons de douter que ce que nous identifions immédiatement comme de la parole artificielle soit une authentique forme de parole. Empruntant subséquemment la voie tracée par Wittgenstein, Ryle et Austin, et labourée plus récemment par Peter Hacker et Richard Moran, je soutiens – en dépit des accusations infondées de chauvinisme – que cette « parole artificielle » n’est en définitive aucunement une sorte de parole (chapitres 3 et 4) ; l’authentique parole doit en effet être motivée (elle doit avoir un point) ; elle a une dimension conventionnelle (et exige donc qu’une convention soit suivie) ; elle est le plus souvent expressive (et requiert donc des désirs et des buts à soi) ; elle est enfin intentionnelle (on ne peut pas parler sans le savoir et on vise toujours quelque chose par la parole) et engagée. Une façon alors utile de bien concevoir les productions textuelles des machines (chapitre 5) est de passer par une élucidation des concepts d’ « imitation » (pour les productions textuelles d’origine artificielle), et de « simulation » (pour de telles productions intégrées au sein de simili-conversations pouvant impliquer des êtres humains). En guise de cas d’étude, je me penche ensuite sur une conceptualisation malheureuse d’une parole artificielle dans le contexte épistémique de l’expertise (chapitre 6). Mon enquête se clôt enfin sur une réflexion plus générale sur ce que peuvent véritablement « faire » les machines, où il apparaît à nouveaux frais que la parole n’est clairement pas le genre de capacité pouvant être attribuée à un système artificiel (chapitre 7). L’idée d’une parole artificielle peut donc être entièrement abandonnée, et les fantasmes qui l’accompagnent (et qui alimentent bien souvent les questions excitantes évoquées au départ) peuvent alors sans ambages s’évaporer.