Le programme de Gödel et le problème du continu : implications philosophiques et développements mathématiques récents

Le 11 décembre 2025 à 14h00, Fabien Carbo-Gil soutiendra sa thèse de doctorat intitulée : « Le programme de Gödel et le problème du continu : implications philosophiques et développements mathématiques récents ». 

Lieu de la soutenance :
FRUMAM – Faculté des Sciences Site St Charles Aix Marseille Université – 3, place Victor Hugo – 13331 Marseille cedex 3 – Salle de séminaire

Le jury se compose de :

  • Mme CROCCO Gabriella, Aix-Marseille Université, Professeure des universités
  • M. MARQUIS Jean-Pierre, Université de Montréal, Professeur
  • M. BAGARIA I PIGRAU Joan, Universitat de Barcelona, Research Professor
  • M. NGUYEN VAN THE Lionel, Aix Marseille Université, Maître de conférences
  • Mme FONTANELLA Laura, Université Paris Est Créteil, Maîtresse de conférences
  • M. PATRAS Frédéric, Université Côte d'Azur, Full professor
  • M. VIALE Matteo, University of Torino, Directeur de recherche

Résumé de la thèse :

Cette thèse explore l'Hypothèse du Continu (HC) à travers la philosophie de Kurt Gödel et en dialogue avec les développements récents de la théorie des ensembles. L'HC, formulée par Cantor, postule qu'il n'existe pas de cardinal intermédiaire entre l'infini dénombrable et le continu. Depuis que Gödel puis Cohen ont démontré la cohérence de l'HC et de sa négation avec les axiomes usuels de ZFC, son indécidabilité lui confère un statut épistémologique particulier. On se propose d'analyser la valeur épistémologique de cette situation, en assumant une approche interdisciplinaire à la croisée des mathématiques et de la philosophie.
Le premier temps de l'étude situe la théorie des ensembles dans le débat sur les fondements. Si ZFC fournit le langage commun de la quasi-totalité des mathématiques, elle révèle aussi des limites irréductibles. L'examen des alternatives (théories des classes, théorie des catégories) nous conduit à reposer la question du cadre philosophique de l'analyse des fondements. Nous nous inscrivons dans un rapport critique avec le naturalisme (Quine, Maddy), qui réduit la philosophie à la description de la pratique scientifique. Nous défendons, au contraire, l'importance des enjeux métaphysiques, en particulier lorsqu'ils révèlent la fécondité heuristique des positions philosophiques pour la recherche mathématique.
Le second moment est consacré au réalisme conceptuel de Gödel. Celui-ci soutient que les concepts possèdent une existence indépendante du langage et des objets auxquels ils s'appliquent. À ce réalisme s'ajoute un optimisme rationaliste : toute question bien posée admet une solution, pourvu que l'on découvre les axiomes adéquats. Ainsi, les théorèmes d'incomplétude ne marquent pas une impasse, mais un appel à la découverte de nouveaux principes via l'analyse conceptuelle. L'exemple du concept de calcul, caractérisé de manière absolue par la notion de machine de Turing, illustre le type d'analyse conceptuelle que Gödel espérait pour la notion d'ensemble.
Le troisième moment applique ces idées au problème du continu. L'article de Gödel sur le continu identifie deux directions principales : en premier lieu l'introduction d'axiomes de grands cardinaux, relatifs à la question de la hauteur de l'univers des ensembles et en second lieu, la question de la définissabilité, liée à des modèles intérieurs comme L et HOD qui se prononcent plutôt sur la largeur de l'univers. Ces deux pistes, parfois difficiles à articuler, structurent encore les recherches actuelles.
Le quatrième moment analyse la découverte de Cohen : la méthode du forcing. Celle-ci établit que l'HC est indécidable dans ZFC et offre un outil puissant de construction de modèles. Certains y voient l'émergence d'un multivers ensembliste ; d'autres maintiennent l'idée d'un univers unique. Fidèle à Gödel, le mémoire défend l'idée que le forcing, loin d'imposer un relativisme, doit être compris comme un progrès technique compatible avec la quête d'une vérité absolue.
Enfin, le cinquième moment examine la mise en œuvre contemporaine du Programme de Gödel. Trois familles d'axiomes sont discutées : les grands cardinaux, dont la portée semble insuffisante pour trancher l'HC ; les axiomes de forcing, qui conduisent à réfuter l'HC, mais dont la justification reste controversée ; et le programme des modèles intérieurs (Woodin, V = Ultimate-L), qui offrirait, s'il réussissait, une démonstration de l'HC et une clarification globale du concept d'ensemble.
Ainsi, l'HC apparaît non seulement comme un symptôme des limites de nos systèmes actuels, mais aussi comme un moteur de progrès conceptuels. En replaçant les débats contemporains dans le cadre gödelien, la thèse défend l'idée que la réflexion philosophique conserve une fonction heuristique essentielle : elle éclaire le rôle des nouveaux axiomes et contribue à orienter la recherche vers une compréhension plus profonde de la vérité mathématique.