Histoire des Sciences, Interdisciplinarité et Enseignement
Rapport de Synthèse pour l'Habilitation à Diriger des Recherches (disponible sur Hal au lien ci-dessous)
Résumé :
La cohérence et la justification des travaux décrits dans ce rapport pour l’Habilitation à Diriger des Recherches en « Épistémologie, Histoire des Sciences et des Techniques » repose sur le postulat que les sciences parlent toutes des langages différents ; des langages faits de concepts abstraits, normés par des jeux de postulats et de méthodes variant de l’une à l’autre. L’urgence de ces travaux repose alors sur le sentiment qu’une proportion significative des destinataires de ces langages, aussi bien que de leurs locuteurs, ignore tout ou partie de ces normes qui conditionnent pourtant leur sens et leur portée. Que ces normes sont d’autant mieux ignorées qu’elles sont rarement verbalisées, et qu’elles ont volontiers tendance à se transmettre implicitement d’un locuteur à un autre. Qu’une illusion réaliste naïve pousse par ailleurs certains à identifier les objets abstraits des sciences aux choses du monde qui leur servent de pré-texte. Enfin, que, du fait d’une facilité apparente à exprimer ces langages disciplinaires dans les mêmes langues communes, doublée du nombre considérable de concepts homonymes dans les langages disciplinaires, ces langages donnent l’impression de pouvoir se fondre spontanément en une même langue universelle de la science, ou de la raison. Or, ce Babel à l’envers, où tout le monde parle la même langue mais où chacun attribue un sens différent à ses mots, me parait d’autant plus inquiétant que l’incompréhension y est impensable, et que même lorsqu’elle est éprouvée, son origine reste des plus difficiles à identifier.
Ce postulat de la différence implicite des langages disciplinaires est donc ici le prétexte et l’élément de diagnostic principal d’une enquête triple, menée parallèlement en histoire des sciences, en interdisciplinarité et en enseignement. La thèse de cette enquête en histoire des sciences, est que l’histoire d’une science peut justement être envisagée comme l’histoire de l’évolution de son langage et des règles qu’elle se donne pour l’élaborer. En interdisciplinarité, cette thèse revient à envisager que la difficulté majeure, pour une collaboration entre disciplines, consiste d’abord à reconnaître la différence des langages mobilisés, avant de pouvoir chercher un moyen de les traduire les uns en les autres, ou de se produire un nouveau langage commun. En enseignement, cette thèse mène à considérer que l’une des raisons de l’échec scolaire est un enseignement disciplinaire acritique, dont les contenus sont trop souvent transmis sans les moyens d’apprécier leurs règles de construction.
Fort de ces hypothèses, ce travail vise, par la pratique même de l’histoire des sciences, de l’interdisciplinarité et de l’enseignement, à résoudre ce problème d’incommunicabilité en se donnant les moyens d’une traduction. En histoire des sciences, ce moyen consiste à analyser le texte historique comme un discours construit selon d’autres normes, qu’il s’agira de mettre en contraste avec les discours scientifiques actuels, afin de nous sensibiliser à leurs normes respectives et mieux les comprendre. En interdisciplinarité, ce moyen consiste à inviter préalablement les participants de projets interdisciplinaires à une explicitation guidée des fondements épistémologiques de leur discipline, dont ils pourraient ensuite débattre avec les autres membres du groupe : afin que cet échange permette à chacun de mieux entendre les autres, et que les implicites rémanents de leurs discours disciplinaires respectifs émergent de la confrontation de leurs fondements. Enfin, en enseignement, ce moyen consiste à stimuler l’attention des futurs citoyens aux normes des discours scientifiques par un usage critique et raisonné de l’histoire et de la philosophie dans l’enseignement scientifique, conditionnée bien sûr par une formation des enseignants de sciences à cet usage.
Mes pratiques en enseignement, en interdisciplinarité et en histoire des sciences visent donc, conjointement, à l’élaboration d’une forme d’épistémologie comparative, des différentes sciences ; de leurs différentes expressions historiques ; et des différentes manières de les pratiquer à une même époque. Une épistémologie ayant elle-même vocation à alimenter en retour les pratiques historiques, interdisciplinaires et didactiques.